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Charte – Définir le contexte

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commission charte
Le débat actuel sur la charte des valeurs (ou le projet de loi 60) soulève de très sérieuses questions sur la place de la liberté d’expression religieuse pour les employés de l’État. Et ces questions se placent bien sûr dans le contexte d’une laïcité à parfaire par la neutralité représentative, dont je suis partisan. Et la question principale développée ici sera celle de la dynamique du signe religieux dans le contexte de l’espace civique et de la Justice.

Le territoire moral

Pour quelque raison que ce soit, au niveau social, porter un signe religieux, c’est tout simplement marquer moralement son territoire. Tout comme l’animal qui répand un fluide pour indiquer sa présence au-delà de sa corporalité. Cette comparaison n’est pas à prendre péjorativement, bien sûr, mais la mécanique est tout à fait semblable. Pour des raisons qui sont hors sujet ici, l’animal ne considère pas l’espace commun comme étant libre et il agit en conséquence. L’humain qui considère que sa croyance doit se manifester en tout temps n’accepte pas à priori l’idée d’un espace libre de religion, encore plus quand cela pourrait être exigé : voilà pourquoi ce projet de loi 60 en heurte beaucoup.

Tout ce qui se trouve au-delà de la croyance intime et secrète est un marquage en bonne et due forme. Qu’on le défende en l’assimilant à un trait culturel, traditionnel ou simplement personnel ne change rien : il est effectif en regard de la perception des autres, qu’elle soit négative ou positive. Parce que si une personne sent le besoin de marquer sa croyance au niveau individuel, ce marquage n’est pas pour autant invisible au regard des autres. Et puisqu’il est identifiable et réfère à la donnée religieuse, il propose un certain nombre de principes moraux ainsi qu’un cadre spirituel qui colorent le territoire. On pourrait aussi parler d’espace, de sphère, étant donné que la notion de territoire est utilisée dans un sens métaphorique.

À partir du moment où cela est compris, on a le droit d’être en accord ou non avec ce marquage dans la sphère civique, là où se joue le débat actuel sur la laïcité et la charte. Mais avant de poursuivre, il faudrait expliquer cette notion de sphère civique, puisque visiblement beaucoup de gens semblent l’occulter, consciemment ou par simple ignorance, alors que trop souvent et à tort on place ce débat dans la sphère publique.

La sphère (ou espace) civique

Selon Alain Massot, sociologue et professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval :

L’espace civique concerne l’ensemble des citoyens dans l’exercice de leurs devoirs et droits civiques en relation avec l’État et ses institutions. […] Tous les citoyens sont appelés à participer à la définition et à la gouvernance de l’intérêt général dans une démocratie moderne dont les principes reposent sur des valeurs universelles fondées sur la raison. C’est évidemment le cadre politique que l’on se donne comme préalable.

Le sociologue compare cet espace avec l’espace public et l’espace privé :

Bien que ces espaces ne soient pas totalement hermétiques l’un à l’autre, ils reposent sur des principes foncièrement différents et spécifiques :

- la neutralité de l’espace civique gouvernée par des valeurs universelles et rationnelles ;

- le pluralisme de l’espace public fondé sur des valeurs communautaristes relevant de l’histoire ;

- le particularisme de l’espace privé orienté par des valeurs personnelles.

Donc, les sphères publiques et privées sont les espaces des individus; la sphère civique, celle du citoyen :

Personne qui vit dans un État, considérée du point de vue de ses droits et de ses devoirs civils et politiques.

(Source : dictionnaire Antidote)

Vous remarquerez qu’il n’est pas question, explicitement ni implicitement, ni des droits individuels ni de la liberté d’expression. Bien sûr, dans le contexte de la sphère civique ces droits et ces libertés ne disparaissent pas, ils s’y mesurent.

L’employé de l’État n’est pas un citoyen comme les autres

En regard de l’existence de cet espace et de ces définitions, il est tout à fait légitime de considérer comme discutable cette idée que la liberté de l’employé de l’État, qui marque moralement son territoire durant l’exercice de ses fonctions, est intouchable. L’employé de l’État (en poste) n’est pas un citoyen comme les autres, il le sert, il lui est subordonné. Et marquer moralement son territoire c’est refuser de se soumettre à son rôle de représentant de l’État — ce pour quoi il est payé — en endossant le « costume » de la neutralité représentative, ce qui ferait partie de ses « devoirs civils et politiques ». Pourquoi cette liberté d’expression légitimée par la liberté de religion devrait-elle court-circuiter la logique de l’espace civique où le citoyen bénéficiaire de service est la donnée importante et essentielle?

Le barème de la Justice

On dira que la liberté d’expression de l’employé de l’État ne brime pas celle du citoyen, ce qui serait tout à fait juste si l’employé ne travaillait pas pour l’État, donc plutôt dans un contexte d’espace public, par définition pluraliste. L’espace public est un espace où se déploient et se confrontent toutes les libertés et où le système de Justice tient lieu de médiation. C’est un espace conflictuel, autant négativement que positivement, dans le sens qui est entendu par la formule : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». Ainsi, dans la sphère publique, la liberté d’expression d’un employé se confronte aux décisions de l’employeur, qui est confronté à la liberté du client (qui n’est jamais captif, contrairement à ce qui se passe dans la sphère civique), tout cela sous l’épée de Damoclès de la Justice.

Mais, dans la sphère civique, c’est toute la notion de savoir s’il y a brimade ou non, s’il y a confrontation des libertés ou non qui pose problème. Parce que ce qui organise cet espace n’est pas principalement la Justice comme médiatrice des libertés des individus, mais l’entité étatique, représentante de tous les citoyens et de la démocratie, dans le but de régir le bien commun. Donc, c’est un espace social encadré où la question de la liberté ne se pose pas tellement au niveau personnel, mais se déploie totalement au niveau collectif. Et comme le citoyen est captif devant l’État pourvoyeur de service, c’est tout à fait logique — et souhaitable — d’éloigner de cet espace la dynamique de la confrontation des libertés, et par cela même la Justice.

Le statut juridique de la notion d’espace civique

Le concept de sphère civique (ou d’espace civique) n’a pas à proprement parler de statut juridique dans le droit écrit (et il faut faire ici la distinction entre le judiciaire — le contexte d’application — et la Justice — comme idéal et principe moral). Cependant, ce n’est pas parce qu’il n’a pas de statut juridique qu’il n’a pas de poids au niveau juridique. Ce concept est utile pour pointer le champ d’application d’une loi, comme il en est question avec l’interdiction des signes religieux pour les employés de l’État, mais il n’a pas besoin d’être inscrit comme tel dans une loi pour être effectif.

Pour ce qui est de s’en servir comme argument au niveau juridique, le seul fait de bien comprendre son sens est suffisant. Donc, par « espace » ou « sphère » on comprend un lieu d’interactions, qui peut être abstrait ou tangible. Pour ce qui est de l’adjectif « civique », il est question de ce qui concerne le citoyen, de ce qui est relatif au citoyen. Et bien sûr, s’il faut le répéter avec une autre définition, celle du Larousse, le citoyen est une « Personne jouissant, dans l’État dont il relève, des droits civils et politiques, et notamment du droit de vote (par opposition aux étrangers). »

En conclusion

En regard de tous ces éléments de réponse, il est clair que la lecture individualiste mise de l’avant par les tenants de la laïcité ouverte est trop partielle et partiale pour bien analyser la question du bienfondé ou non de la neutralité représentative des employés de l’État. Comme on le voit, tout converge vers une dynamique de la collectivité, là où l’égalité et l’unité sont la priorité. Pendant que l’importance de la liberté d’expression religieuse est mise de l’avant dans l’argumentaire individualiste, c’est l’importance des droits civils et politiques qui est mise de côté alors que le contexte du débat est profondément civil et politique, justement. (Et il est question ici de la politique dans le sens d’organisation de la société et non de partisanerie : la liberté d’expression des opinions politiques est déjà soumise aux impératifs de la neutralité, en toute logique, sans que cela ait causé une crise sociale.)

D’autre part, ce que tout cela pointe, c’est que le simple fait de dire que l’expression religieuse de l’employé de l’État ne nous dérange pas personnellement ne peut pas tenir lieu de base argumentaire solide dans ce débat puisque l’espace civique n’est pas un espace d’opinion, enfin, lorsqu’il s’agit de la dynamique du service étatique. Alors, il ne serait pas question de faire simplement la balance des pour et des contres pour arriver à une décision, mais de faire table rase de la possibilité de problèmes (en regard des problèmes réels et des analyses). En fait, nier l’existence de ces problèmes hypothétiques c’est aller à contrecourant de la tendance du principe de précaution, théorisé pour ce qui est des problèmes environnementaux, mais aussi à propos en ce qui a trait aux problèmes sociaux :

le “principe de précaution” est une notion qui préconise l’adoption de mesures de protection avant qu’il y ait des preuves scientifiques complètes démontrant l’existence d’un risque; autrement dit, une action ne devrait pas être différée simplement en raison de l’absence de renseignements scientifiques complets.

Dès lors, on écoute ces deux intervenantes de la commission parlementaire sur la charte qui travaillaient pour la DPJ et qui relèvent un lot de problématiques en lien avec les enfants ou on écoute ces enfants qui, selon un reportage vidéo simpliste du journal Le Devoir, seraient contre l’interdiction des signes religieux?


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